La justice transitionnelle en Bolivie et au Paraguay : La transition démocratique entre résistances et incertitudes

JAAFAR MOHAMMED, Droit Public et en sciences politiques De l’Université d’Abdelmalek Essaadi de Tanger

Résumé

Mystificatrice , la justice transitionnelle amorcée en Bolivie et au Paraguay , l’était dans la mesure où loin de servir  fidèlement la transitologie , elle s’imprime des souillures de l’apparentologie . Elle se proclame  veule  avec son mutisme  corrélé à son inanité  attisant de façon irrémissible les déboires des victimes s’interposant  souvent à la vocation cathartico- thérapeutique  et générant partant de nouvelles zones de vulnérabilités sociales et politiques.

C’est un rébus enveloppé dans un mystère à l’intérieur d’une énigme, tel apparaît la transition démocratique en Bolivie et au Paraguay axée sur  le procédé  oxymorique de la justice transitionnelle. Tout en étant une dans son inspiration, la justice transitionnelle  est double dans sa traduction d’où son ambivalence.

Mots-clés :Bolivie -Paraguay – Justice transitionnelle -transition démocratique –  Condor –  Commissions de vérité et de justice – Impunité – Amnistie .

Abstract

Mystifying, the transitional justice initiated in Bolivia and Paraguay, was insofar as far from

serving faithfully the transitology, it imprints itself on the stains of apparentology.

It proclaims itself idle with its muteness correlated to its inanity stoking in an irreparable way the woes of the victims often interfering with the cathartico-therapeutic vocation and thus generating new zones of social and political vulnerabilities.It is a rebus wrapped in a mystery within an enigma, such appears the democratic transition in Bolivia and Paraguay focused on the oxymoronic transitional justice. While being one in her inspiration, the transitional justice is double in her translation from where her ambivalence.

Key words: Bolivia -Paraguay – Transitional Justice – Democratic Transition – Condor – Truth and Justice Commissions – Impunity – Amnesty.

   Introduction:

      Le phénomène de démocratisation bénéficie d’une planétarisation inédite à telle enseigne qu’il a touché l’Europe de l’Ouest et ses prolongements sud – américains produisant un effet stimulant sur la production d’analyses ambitionnant cerner la quintessence des mutations initiées comme en témoigne le cas de Samuel Huntington qui parlait de vagues de démocratisation [1].

Force est de noter cependant que la science américaine, si abondante qu’elle est, a soutenu longtemps que la démocratie était réservée à la sphère occidentale. Cette réflexion a cédé la place à un discours axé sur la démocratisation et , pour cause , l’engagement depuis la 3e vague des années 1980[2] sur la voie démocratique  des  régimes jugés auparavant totalitaires et autoritaires couvrant tous les continents, l’Europe de l’Est, l’Asie et l’Afrique.

Projeter d’étudier les incidences de cette vague dé démocratisation en Bolivie et au Paraguay dans la perspective transitologique   conduit inéluctablement à apprécier le processus de la justice transitionnelle amorcé dans ces pays du Cône Sud et présuppose  un rappel de sa portée sémantique. En effet , fruit d’un long cheminement initié depuis les transitions post-dictatoriales en Amérique latine dans les années 1970-1980, la justice transitionnelle  jaillit  d’une lente gestation .Elle fut utilisée , a priori , en tant qu’expression par Ruti Teitel  [3]avant de servir en 1995 de titre pour un ouvrage intitulé « Transitional justice : how emerging democraties reckon with former regimes » [4] pour  prendre son plein essor  après la guerre froide.

 La justice transitionnelle est une expression chargée de fortes connotations mélioratives s’acheminant , telle que définie par le Secrétariat général de l’ONU , de l’éventail complet des divers processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour tenter de faire face à des exactions massives commises dans le passé, en vue d’établir les responsabilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation[5], en passant par sa désignation  d’un champ varié de pratiques politiques, militantes, juridiques, de conseils et d’expertise[6], pour se cristalliser en dernière mouture tel un processus d’opérationnalisation des solutions juridiques, politiques, psychologiques et morales visant à concilier les principes de justice, de pardon et de vérité aux fins de (re)construction nationale, donc de construction (constitution) d’États nouveaux[7].

 En somme , elle se proclame concomitamment en un « ersatz » de la justice pénale traditionaliste, un mécanisme de réparation juridico-thérapeutique des torts subis , un procédé de conjuration du délitement social et un dispositif pacificateur , de réconciliation et de pardon dans les États en transition. Pour ainsi dire , s’assignant un double objectif transitionnel vers la paix et la démocratie , elle s’assimile à  une panacée parée de toutes les vertus préventivo-préservatrices et restauratrices à réponse politique globale[8] à un problème qui se pose dans les « périodes extraordinaires » et politiquement tendues.

Passant de l’exception à la norme, la justice transitionnelle érigée en un  paradigme de l’État de droit en tant que logique structurelle est hissée en un principe universellement consacré en tant que standard démocratique. En effet, l’expansion démocratique universalisée depuis des décennies a engendré une littérature foisonnante arguant que des régimes à des degrés divers sont en phase de transition démocratique largement inhérente à la consécration de la justice transitionnelle inaugurée notamment en Amérique latine. A juste raison , en Amérique du sud, la Bolivie fut pionnière en  la matière en établissant en 1982 la première Commission Vérité qui serait  planétarisée  touchant l’Argentine en 1984, le Chili en 1990 , le Salvador en 1992 et le Guatemala  en 1994 sans oublier les  Philippines et le Népal.

S’alignant sur cette voie démocratique , le Paraguay  échafaude en 2003, presque quinze ans après l’effondrement du général Stroessner, une Commission Vérité et Justice (CVJ).

Voulant se départir des scories de l’apartheid , l’Afrique du Sud pilotée par Nelson Mandela  concevait en 1995 la première Commission de la vérité et de la réconciliation avec audiences publiques.

Chevillé aux valeurs universelles de la démocratie, le Roi du Maroc Sa Majesté Med VI a fait du choix de la justice transitionnelle la pierre angulaire de la construction démocratique et ce, moyennant la constitution de l’Instance de l’Equité et Réconciliation maximisant ainsi l’indemnisation des victimes des « années de plomb » et aseptisant, ambitionne-t-il, le Maroc des dérives autoritaristes et des réflexes liberticides d’un passé à jamais révolu[9].

 Au Paraguay et en Bolivie , la situation politique est marquée du sceau de l’équivocité .

 Pays des contrastes, ils frappent par la complexité de leur situation politique qui pousse à s’interroger sur  la quintessence du processus de démocratisation surmédiatisé par le discours officiel qui vante la réussite de l’ expérience en justice transitionnelle et son alignement sur les canons de la transition démocratique. Des doutes taraudent les esprits quant à l’objectif réel de ces régimes viscéralement dictatoriaux d’où la perversion traditionnelle de la dialectique paradoxale entretenue entre redevabilité et impunité ,  entre autoritarisme et démocratisation .

 A cet enseigne, tout discours sur la transition démocratique par le truchement de la justice transitionnelle dans ces pays semble divulguer des mutations initiées sous couvert de despotisme, symptomatiques du balancement entre faux semblant et immobilisme. Cela peut conduire à y déceler des pratiques ambitionnant davantage la conservation du système en l’état. Kar Alphonse l’a bien souligné , plus ça change et plus c’est la même chose.

 Saisir le dessein de ce processus de démocratisation entamé s’annonce difficultueux. On peut dire, à présent, par mesure d’objectivité, que  tout ce qui est en mouvement est en progression, la question étant tout de même de savoir quel est le sens de cette progression. D’où la problématique générale du mouvement immobile, du faux mouvement profitant au non-mouvement, et de ce qui change pour que rien ne change.

 À ce titre, l’expérience de justice transitionnelle en Bolivie et au Paraguay  soulève  trois séries de questions connexes :

 La transition démocratique souhaitée par l’amorçage de la justice transitionnelle dans ces pays serait-elle un simple faux semblant destiné à rassurer, à l’extérieur, la communauté internationale, tout en désamorçant , à l’intérieur , les résistances  ou bien  la poursuite d’un processus de transition démocratique inauguré par la fin de la dictature?

 Les mécanismes enclenchés de justice transitionnelle font-ils écho aux interjections de la transition démocratique avec ce qu’elles exigent comme réparation , réformes institutionnelles et activation de la responsabilité redditionnelle mettant fin à l’impunité ou cadrent-ils en parfaite osmose avec les injonctions d’un simple réformisme de conservation et de restauration?

 Ces expériences de justice transitionnelle  s’inscrivent-elles, in fine, dans une optique de rupture ou de continuité ?

 Pour percevoir les diverses strates qui jalonnent la composition de cette étude , on pourrait considérer que deux moutures successives forment son ossature. Il importe , au prime abord , de scruter les arcanes du contexte global des violations perpétrées , révélatrices d’un destin collectif confisqué (I) avant de se pencher sur l’appréciation de l’effectivité de la justice transitionnelle à l’épreuve de la pratique (II) .

I Un destin collectif confisqué

 Le terrorisme de l’État  magnifié par le plan Condor (A) et la déliquescence programmée (B)  ne sont pas indépendants et  sont liés par une relation de compénétration fonctionnelle ambitionnant la confiscation du destin collectif du Cône Sud.

  1. Le Plan Condor :  Le terrorisme de l’État .

      Au nom du tout sécuritaire , une rencontre a réuni le 25 novembre 1975  à Santiago du Chili les chefs des services de renseignement des pays de l’Amérique du Sud  à savoir

 l’ Argentine, l’Uruguay, le Paraguay, la Bolivie et le Brésil.  L’initiateur en était Manuel Contreras, fondateur de la police secrète chilienne du général Pinochet (la DINA) qui conspirait  un plan « contre-terroriste »  traduit , in concreto,  en une chasse aux personnes jugées «subversives» et contre  les « guérilleros terroristes gauchistes »  par  les services secrets au nom de la dite « doctrine de sécurité nationale ».  Une véritable campagne de liquidation – épuration baptisée « opération Condor »  est opérée  depuis 1976 non seulement à l’égard du seul opposant du régime mais s’étendant à sa famille et ses proches et transcendant les frontières des pays concernés pour  atteindre les victimes en  Europe et aux États-Unis où elles sont kidnappées, torturées et tuées. On en voudra principalement pour illustration le cas de l’acte terroriste ayant ciblé l’ancien ambassadeur chilien aux États-Unis et ancien ministre des Affaires étrangères de l’ex-président chilien Allende ,  Orlando Letelier et sa collègue étasunienne Ronni Karpen Moffitt assassinés  en plein centre de Washington par un attentat à la bombe le 21 septembre 1976[10] et avant eux,  l’ancien commandant en chef de l’armée chilienne Carlos Prats, abattu avec sa femme à Buenos Aires.

Puisant son nom d’un grand rapace vivant dans la cordillère des Andes, cette “machine à tuer”  baptisée Condor inscrite dans le sillage de la guerre froide par les services secrets de six régimes autoritaires (Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Paraguay, Uruguay) ainsi que ceux , à un moindre degré , du Pérou et du Venezuela s’affiche clandestine , transnationale et tacitement soutenue  par les États-Unis[11].

 Elle fait partie d’une stratégie répressive qui a fait environ 50 000 tués et 35 000 disparus.

 L’arbitraire est devenu la règle. Des dérapages obscurantistes se sont produits et les procédés tyranniques varient entre les États allant  de  la noyade  , passant par la transmission des enregistrements sonores de cris de proches torturés et atteignant leur paroxysme sous la forme du kidnapping de quelque cinq cents enfants, nés , le plus souvent en détention et  qui seraient adoptés par  des couples stériles, politiquement proches du pouvoir. L’ultime visée de cette machine infernale étant d’impressionner les opposants  par l’exhibition agressive de la  force au sein de la société . Cette approche rappelle celle d’Adolf Hitler qui avançait: « La cruauté impressionne. La cruauté et la force brutale. L’homme de la rue n’est impressionné que par la force et la brutalité. La terreur est la méthode la plus efficace en politique.[12] »

Cette opération initiée en novembre 1975 souscrit à une perspective répressive tridimensionnelle .Au prime abord, les régimes concernés procédaient à l’identification des opposants et pour ce faire, ils ont scellé leur collaboration en échange d’informations  visant la surveillance des  personnes jugées subversives  tout en établissant une  base de données communes profitant à l’optimisation de la réalisation des objectifs arrêtés. Les opérations, étaient coordonnées  depuis un  centre d’information commun au siège de la célèbre police secrète du dictateur Augusto Pinochet à Santiago. Les deux services secrets américains , la CIA et le FBI ont œuvré de concert  avec la junte militaire sur place et lui ont fourni du matériel technique pour véhiculer des informations sous la forme du « Condortel »  , une sorte de télex servant de moyen de communication permettant l’échange des informations entre les militaires qui en avaient appris l’usage grâce aux formations organisées par l’armée américaine à l’Ecole des Amériques au Panama sur l’espionnage, la subversion et le terrorisme. De même, satisfaisant aux expectatives de l’efficacité , de rapidité et d’opportunité dans la transmission d’informations , de multiples outils  de cryptologie, des téléphones avec inverseurs de voix et usages de courriers  ont été utilisés[13].Les services secrets de ces États ont mené des opérations transfrontalières  comprenant enlèvements , disparitions clandestines des dissidents et même des interrogatoires corrélant torture et persécution.

Enfin, s’annonce le dernier volet illustrant de la volonté de la neutralisation des opposants en Europe et dans les pays sud -américains par le déploiement d’une équipe spéciale pour assassinats ciblés comme en témoignent les cas de l’ex-président bolivien Juan José Torres  ou les disparitions forcées des réfugiés politiques qui avaient fui leur pays et qui sont estimés à 45 Uruguayens, 22 Chiliens, 13 Paraguayens, 11 Boliviens et 14 Argentins[14] sans compter des prêtres, des étudiants et des enseignants.

Selon les approximations des organisations de droits de l’homme, le bilan de cette opération épuration s’élèverait entre 1975 et 1983 à 50 000 morts, 35 000 disparus et plus de 400 000 détenus[15].

Faisant partie intégrante du plan Condor, Banzer , le président bolivien maintenu à la présidence de 1971 à 1978 accorde , avec d’autres dictatures militaires de la région, la nationalité bolivienne à Klaus Barbie, surnommé « le boucher de Lyon » , ancien chef du service anti-juif de la Gestapo de Lyon qui rejoint les services spéciaux afin de « rénover » les techniques de répression.

Le bilan des massacres s’alourdit entre 1971 et 1978 enregistrant en Bolivie plusieurs centaines de personnes abattues par son régime, quatorze mille cinq cents sont emprisonnées pour diverses raisons politiques et des dizaines de milliers de personnes forcées à l’exil.

Il en est de même sous le carcan autoritaire de Lui Garcia qui commet entre autres atteintes contre l’ordre constitutionnel et juridique et violations contre les droits de l’Homme dont les plus regrettables demeurent  l’assassinat de trois importants dirigeants politiques et syndicaux suite à l’attaque contre les locaux de la Central Obrera Boliviana et le meurtre avec préméditation de huit militants du Movimiento de Izquierda Revolucionaria (MIR)

      Assimilé au nid du Condor[16] , le Paraguay fléchit sous le joug du général Stroessner et du plan Condor. S’étant arrogé le pouvoir depuis le 4 mai 1954, le général Stroessner gouverne avec une dictature personnelle qui dure jusqu’en 1989. Voulant  bénéficier  du soutien  américain tant sur le plan  économique que militaire, le général-président Stroessner s’employait à entretenir l’illusion démocratique et l’apparence de la légalité tout en se ressourçant , dès 1956, d’un discours anticommuniste abouti. Cette approche fut maximisée par  un appareil autoritaire effrayant. Prêchant une «démocratie sans communisme », Alfredo Stroessner édifie ingénieusement  un « anticommunisme sans démocratie » dans l’unique but de se pérenniser. Manuel Contreras, le patron de la police politique chilienne, la DINA ne fit en effet que systématiser en novembre 1975 une longue tradition de coopération souterraine[17] longuement manigancée  par les services de renseignement paraguayens qui communiquaient ordinairement avec leurs analogues des pays voisins moyennant des attachés militaires des représentations diplomatiques qui formaient un véritable réseau d’information. L’information arrive ,illico-presto, aux attachés militaires d’Argentine, de Bolivie, du Chili, d’Uruguay, des États-Unis et du Venezuela, dans leur ambassade respective à Asunción.

Face au marasme politico-économique et social , des associations ont légitimé le 11 septembre 1973 , malgré les différences tactiques, stratégiques voire idéologiques qui les divisaient , la lutte armée et l’utilisation de la violence révolutionnaire pour dénoncer les inégalités sociales et l’oppression[18].Parmi ces associations figurent l’Ejército de liberación nacional (ELN, Bolivie), le Movimiento popular colorado (MOPOCO), un mouvement politique dissident, l’Ejército paraguayo revolucionario (EPR) et l’Organisación primero de marzo (OPM). Face à l’oppression , elles adopteraient en décembre 1973 une stratégie commune sous la forme de  la Junte de coordination révolutionnaire.

Craignant une contestation répandue et coordonnée de la « subversion »  optimisant l’accession au pouvoir de la gauche par la lutte armée ou la voie des urnes à l’instar des expériences cubaine et chilienne, les services de renseignement militaires trouvaient dans l’exécution du  plan Condor une réponse seyante pour étouffer  la toute nouvelle Junte de coordination révolutionnaire (JCR). Tout projet fixe ou lointain de réalisation de l’« Internationale latino-américaine », périt mort -né  après l’arrestation des deux dirigeants de la Junte de coordination révolutionnaire envoyés au Paraguay, d’où devait émerger la vague révolutionnaire destinée à la planétarisation. Il s’agit  d’ Amilcar Santucho, frère aîné du dirigeant de l’Ejército revolucionario del pueblo, arrêté à la douane et de Jorge Fuentes Alarcón appréhendé le lendemain à Asunción par le Département d’investigations et transporté clandestinement au Chili où il finit par disparaître. Les deux furent soumis à des interrogatoires menés par des militaires étrangers dans le but de tirer des informations .

A rebours des pays membres du Condor où la coordination  était assurée par les armées reléguant la police au dernier plan , une véritable connivence était instaurée dans l’expérience paraguayenne avec  le Département d’investigations de la police, sous les ordres de Pastor Coronel activement impliqué dans le processus répressif transnational[19] avec cette différence que  le Paraguay se désintéressait de cette dimension « extracontinentale » d’élimination des dissidents à laquelle souscrit la troisième phase du plan Condor  touchant davantage l’Uruguay, le Chili et l’Argentine dans la mesure où après vingt ans de stroessnisme, les principaux réfractaires avaient en effet été mis au pas, à la différence de ces trois pays[20].

  1. De la déliquescence programmée

      Les deux pays sombrent dans la terreur sous l’effet corrosif de la répression de la junte militaire. La Bolivie a essuyé les revers de la tyrannie et de la dictature notamment depuis le coup d’État militaire de 1964 et se poursuivent après le 22 août 1971 suite au renversement du président José Torres par une révolte menée par le colonel Hugo Banzer Suarez qui lui succède à la présidence de la République . On a relevé que 150 prisonniers politiques  absents dans son premier gouvernement de droite ont été inhumés dans le sous-sol du ministère de l’Intérieur (actuel ministère du Gouvernement de la Bolivie)[21]. Ce spécialiste de la violence institutionnalisée s’est illustré dans les tortures, les disparitions, les détentions arbitraires et la  politique raciale comme en témoignent la stérilisation forcée des femmes indiennes et  la tentative de «blanchir» la Bolivie en invitant des Blancs d’Afrique australe à venir s’y installer. Qui plus est, lors d’une révolte menée par les paysans , il a ordonné aux  hélicoptères et aux avions militaires de mitrailler  des foules sans défense en promettant aux militaires une totale impunité en cas d’assassinats.

Le Paraguay , quant à lui, a subi pendant 35 ans de 1954 à 1989 les horreurs du régime d’une dictature atypique menée par le général Alfredo Stroessner.

Pour preuve ,  durant sa présidence , 360 000 personnes sont incarcérées , victimes de persécutions ou de tortures. Il a eu le privilège de compter les plus anciens prisonniers du continent[22]. Le nombre de disparitions et de liquidations physiques des dissidents varie de

1000 à 3000[23] personnes selon les sources. Deux millions de Paraguayens ont choisi volontiers l’exil au despotisme de ce régime.

Stroessner laisse , selon , Martin Almada, un héritage maudit. […] Le mal qu’il a fait perdurera encore longtemps. Il a persécuté le peuple et tous ceux qui pensaient, il a voulu détruire la culture. La peur est la deuxième peau des Paraguayens et elle continuera de l’être, même si elle n’est plus présente [24].

 Pour autant ,  les deux pays souffraient la position transcendantale et centripète du président. Le président est un monstrum juridicum et jouit d’un statut unique, exorbitant du droit commun ensevelissant dans le gouffre de l’oubli toute notion d’alternance politique ou de reddition des comptes. L’applicabilité de la corrélation responsabilité/redevabilité s’affiche «grippée». Les pouvoirs des présidents des deux pays demeurent affranchis de tout examen et de tout contrôle tant au niveau législatif que juridictionnel. En font foi les agissements préjudiciables aux droits  de l’Homme , entre autres, les atteintes au droit  à la vie privée au nom du « Tout Sécuritaire» qui n’est en rien soumis , ni à l’autorité du gouvernement ni au pouvoir parlementaire et qui demeure un champ quasi-réservé au président commandant en chef de l’armée d’abord soumise au parti du Mouvement National Révolution (MNR) en Bolivie et, par la suite, complice – grâce à des « purges » régulières. La police dans les deux pays en l’occurrence  la Policía Nacional de Bolivia (PNB)  ainsi que la police nationale du Paraguay sont la principale force de sécurité mais qui font souvent appel à l’armée pour réprimer des émeutes et des manifestations civiles. Sa mission est de maintenir , d’une part, le bouclage de la vie publique et privée de la population en Bolivie et demeure , d’autre part, chargée au Paraguay du harcèlement et de la torture institutionnalisés, des disparitions et des assassinats.

 Force est de rappeler en l’occurrence les indices d’une surveillance extrajudiciaire des citoyens. Les préjudices portés aux droits à la liberté d’expression, à la propriété des personnes en particulier ainsi que les allégations de la pratique de torture et d’incarcération extra-judiciaire et en dehors des prisons légales foisonnent.

En somme, un verrouillage hermétiquement opéré tant au niveau juridique conçu soigneusement pour maximiser un contrôle procéduro-substantiel des champs des libertés favori à l’oppression sous  des dénominations nettement antinomiques aux finalités escomptées dont notamment  la Constitution nationale de 1967 pour le Paraguay .

Cette politique d’endiguement du citoyen militant est largement manifeste tant au Paraguay qu’en Bolivie. Pour preuve , au Paraguay  , l’on relève  les Décrets d’État de siège, les lois soi-disant exceptionnelles mais permanentes, renouvelées périodiquement, la  Loi 194/55 de Défense de la démocratie et  la Loi 209/70 de Défense de la paix publique et de la liberté des personnes[25]. Il en est de même pour la Bolivie de Hugo Banzer Suarez qui occupait la présidence bolivienne à deux reprises , du 22 août 1971 au 21 juillet 1978, en tant que dictateur militaire, et du 6 août 1997 au 7 août 2001, comme président constitutionnel . A la tête d’une junte militaire appuyée par le Mouvement National Révolution (MNR) suite à un coup d’État , il a  instauré un régime très répressif sanglant par  le trafic de drogue, les caprices du pouvoir, la corruption, le népotisme et les meurtres commandités comme en témoigne le contenu de l’Archive de la Terreur qui émergeait de son enterrement pour montrer l’écriture de la terreur, aux dires d’Augusto Roa Bastos, grand écrivain paraguayen torturé par le régime[26]. Hugo Banzer Suarez est le seul dictateur au monde ayant réussi par le jeu de la démocratie un retour au pouvoir après l’avoir abandonné , avec 22 % seulement des suffrages. Sa formule retentit toujours, « Personnellement, j’ai une philosophie : tout pour les amis ; rien pour les indifférents ; des coups de bâton pour les ennemis.[27] »

Il ne faut pas oublier qu’au cours de la présidence de Gonzalo Sánchez de Lozada , un décret d’état d’urgence a été édité afin de « rétablir la paix sociale » jalonnant la suspension des libertés fondamentales et l’instauration du couvre-feu. A ce juste égard , une vague de mesures liberticides a été enclenchée fédérant l’arrestation des centaines de syndicalistes dont le secrétaire général de la puissante Centrale ouvrière bolivienne, Oscar Salas[28].

II L’effectivité à l’épreuve de la pratique

    Les résistances empreignent la dynamique de  la justice transitionnelle de mécanismes à deux vitesses (A) amenuisant son effectivité qui s’émiette  davantage  sous l’effet de l’ambivalence d’un processus marqué , certes , d’une criminalisation sans rareté  mais d’une impunité sans contrainte (B).

  1. Des mécanismes à deux vitesses :

      L’effectivité de la justice transitionnelle est perceptible à travers l’activation de quatre mécanismes dont l’intensité est variable influant conséquemment leur efficience. A cet enseigne , s’affichent , à moindre effet,  les commissions de vérité dotées de compétences non judiciaires et chargées de l’investigation, de l’évaluation, de l’arbitrage, de la recherche et de la présentation de recommandations et de propositions. Du reste, en un niveau plus élevé , la réforme des institutions de l’État ayant commis des abus, tels que les forces armées, la police et les tribunaux demeure un dispositif efficient de désintégration des structures jugées responsables des dérapages liberticides . De surcroît , s’enclenche , à un niveau éminemment significatif , la responsabilité de l’État  à travers  des réparations tantôt tangibles traduites en des services de santé ou des indemnités sous la forme de restitution: indemnisation, réadaptation , réhabilitation et garanties de non-répétition  tantôt  symboliques marquées par la présentation d’excuses publiques ou l’organisation de journées du souvenir. Enfin et c’est le plus efficient , des poursuites criminelles sont engagées à l’encontre des responsables de crimes.

Compte tenu du  fonctionnement de ces mécanismes, la justice transitionnelle  en Bolivie et au Paraguay chavire entre inanité  et efficience  d’où son aspect ambivalent .

A n’en point douter , des efforts sont consentis mais frappés d’ankylose.

En effet , depuis 1982 , la Bolivie a instauré une Commission nationale d’enquête sur les disparitions. Après seulement 18 jours de son entrée en fonction, le 28 octobre 1982, le Président Hernán Siles Suazo a approuvé, par décret 19241, la création de la Commission nationale d’enquête sur les citoyens disparus. Sur la même voie, le Paraguay a initié en 2003 une Commission vérité et justice constituant un tournant historiographique au presque quinze ans après la chute du général Stroessner pour enquêter sur les crimes commis sous la dictature et au cours de la transition.  Il faudrait se garder de verser dans un idéalisme béat et croire candidement à l’essor de ces nouvelles voies de démocratisation.  Les deux expériences sont marquées de l’équivocité  : la Bolivie a été la première à mener une enquête et demeure en même temps la dernière à mettre sur pied une commission . Ce n’est qu’en 2017 que la Commission de vérité a été inaugurée pour enquêter sur les dictatures militaires (1964-1982). Au Paraguay , la Commission vérité et justice était fragilisée  et muselée entre mythe et vulnérabilités dépeignent partant la fragilité du changement en adoptant des mesures limitées afin d’ assurer la vérité, la justice et des réparations complètes pour les victimes des atteintes perpétrées  sous les régimes militaires et autoritaires du passé.

Aux dires d’Amnesty International [29], les victimes en Bolivie de transgressions des droits humains perpétrées sous les régimes militaires du passé attendaient toujours la vérité, la justice et des réparations pleines et entières.  Les victimes , leurs familles ainsi que la population en général ont le droit de connaître toute la vérité sur les violations des droits humains commises dans le passé. De ce point de vue , le droit à la vérité a une dimension aussi bien individuelle que collective. A juste raison , la Commission interaméricaine des droits de l’Homme a souligné:

Le droit de connaître la vérité est un droit collectif qui garantit à la société l’accès aux informations qui sont essentielles au fonctionnement des systèmes démocratiques et il est aussi un droit privé pour les familles des victimes, qui rend possible une forme d’indemnisation [30].

A cet égard justement, les Commissions mises en place étaient mandatées de jeter de la lumière sur les abus et exactions du passé en vue de tourner la page des années de la terreur, de réconcilier les deux pays avec leur passé, de pacifier les vexations de l’entourage des anciens prisonniers politiques, d’améliorer l’image des deux États aux yeux de leurs peuples et des étrangers et de consolider symboliquement la transition politique. Cela obligeait , sous le prétexte honorable de la paix à instaurer ,à plus de retenue notamment au chapitre de la non- divulgation des noms des tortionnaires, ce qui a attisé l’indignation de défenseurs des droits  de l’Homme . Appréhendées sous ce volet , les Commissions n’auraient servi qu’ à éviter aux responsables d’être jugés se réduisant au statut de cadeau de consolation pour les  victimes, ne permettant pas aux deux pays d’accomplir l’essentiel: cicatriser les blessures des années du plan Condor et se démocratiser substantiellement. Or , sans justice , la poursuite de la paix n’est que poursuite de vent , un traquenard[31] .

On ne peut nier les mérites du déploiement de tels mécanismes  attendu qu’en vertu des résultats des travaux de la Commission de l’Association des parents de détenus, de disparus et de martyrs de la libération nationale et sociale (Asofamd),  l’on a arrêté une liste de 150 disparus sous la dictature de Hugo Banzer dont plusieurs s’inscrivent dans le cadre du plan Condor, en coordination avec les dictatures argentine et chilienne . On a de même retrouvé les dépouilles de 14 personnes disparues en 1972 dont notamment le dirigeant de l’usine René Sánchez Chalco, disparu en juillet 1980, sous la dictature de Luis García Meza . Il convient de noter également les efforts consentis par les commissions d’enquête menées sur  le procès des responsabilités de Luis García Meza, sur le meurtre des dirigeants du MIR sur Harrington Street et sur le meurtre ainsi que  la disparition de Marcelo Quiroga Santa Cruz et de Carlos Flores Bedregal sans oublier les travaux menés pour rechercher les restes d’Ernesto Guevara. Relèvent de ce même registre les enquêtes menées depuis  juillet 1997, relatives à  la disparition de Quiroga Santa Cruz et de Fleurs Bedregal et celles menées en 2003 sous le deuxième gouvernement de Sánchez de Lozada , avec le nom du Conseil interinstitutionnel pour la clarification des disparitions forcées, qui n’a pas prospéré. Toutefois, il ne s’agit pas de « tourner la page » pour l’oublier, mais d’intégrer cette histoire et tout ce qu’elle a comporté de violences et de tragédies, dans la conscience collective. Elle ne devrait pas se cantonner dans sa facture investigatrice  mais, elle la transcende en  portant l’exigence de la non- réédition des actes de répression. Elle s’inscrit dans la perspective de construire une société – et un État dont les fondements et le fonctionnement éloigneront définitivement le spectre de la terreur en promouvant les droits de l’Homme . Rien de tel ne s’est produit  , des résistances et incertitudes subsistaient quant aux menaces et restrictions visant les organisations de défense des droits .On en voudra principalement pour illustration le cas du bureau du haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme en Bolivie qui a fermé ses portes le 31 décembre 2017, à la suite de la décision du gouvernement de ne pas renouveler son mandat.

      Au Paraguay  et grâce aux documents découverts formant  l’Archive de la terreur  se dissipaient les confusions sur le terrorisme du Stroessnisme permettant partant  à de nombreuses familles de se renseigner sur le sort des victimes et d’engager  des procès devant la justice paraguayenne donnant lieu à la condamnation des tortionnaires. L’exemple prototype est servi par le cas des frères  Benjamin Ramirez Villalba et de son frère Rodolfo Ramirez Villalba arrêtés en 1974 , disparus le 21 septembre 1976 et torturés  dans des établissements policiers, militaires ou pénitentiaires alors que leur présence était totalement reniée. Les fichiers découverts retracent leur  pénible parcours notamment  les photos prises à divers moments de leur détention.

Grâce au militantisme des activistes des organisations des droits de l’Homme en particulier  Martin Almada[32],trente ans après, le 22 septembre 2006, la Cour interaméricaine des droits de l’Homme a rendu un arrêt concernant leur disparition, ainsi que celles d’Amilcar Oviedo et Agustín Goiburu tout en dépouillant les mécanismes du  système « stroniste » et  l’Opération Condor  en vantant les mérites de l’ « Archive de la terreur ». La Commission pour la vérité et la justice du Paraguay a conclu que 1,5 million de Paraguayens ont dû s’exiler tandis que 15 000 ont été torturés et 130 prisonniers politiques ont disparu.

      Dans un autre ordre des idées , l’effectivité de la justice transitionnelle serait maximisée avec l’engagement de la responsabilité de l’ État des exactions soumises.

En ce sens , en novembre 2008, à l’occasion de son  jugement dans l’affaire Ticona Estrada , la responsabilité de la Bolivie a été engagée par la Cour interaméricaine des droits de l’Homme pour violation du droit à l’intégrité physique et morale des proches de victimes de disparition forcée. La Cour souligne que les douleurs  des proches sont aggravées par le refus continuel des autorités nationales de fournir des informations sur le lieu où se trouve la victime ou de lancer une enquête efficace afin d’obtenir des éclaircissements sur ce qui lui est arrivé[33].  Nonobstant  sa résolution affirmant sa volonté de rendre publiques des informations relatives aux événements du passé contenues dans les archives en rapport avec les atteintes aux droits humains commises, le ministère  de la Défense tergiversait. Malgré la résolution judiciaire prononcée le 16 septembre 2009 et la sommation du  juge d’instruction Róger Valverde émise le 10 février 2010 aux forces armées de livrer les documents issus de leurs archives susceptibles à optimiser la localisation des restes de Marcelo Quiroga Santa Cruz, Juan Carlos Flores Bedregal et Renato Ticona Estrada, tous victimes de la disparition forcée sous la dictature de Luis García Meza  , le refus récalcitrant des  forces armées est imperturbable.   A cet égard justement , Louise Finer, chercheuse sur la Bolivie à Amnesty International estime qu’il est préoccupant de constater que 30 ans après ces faits très graves, les informations susceptibles de les éclairer sur ce qui s’est passé n’ont toujours pas été révélées[34]. Ce rejet se cristallise davantage avec le refus  affiché le 18 février 2010, au  procureur chargé de l’enquête sur les violations commises par le passé d’accéder à la caserne de Miraflores où se trouvent des archives qui pourraient renfermer des éléments permettant de faire jaillir la vérité[35]. Divers organes de défense des droits humains ont communiqué des rapports recommandant à l’État plurinational de la Bolivie de renoncer à ses manquements à l’obligation qui lui incombe de garantir vérité, justice et réparations pour ce qui s’est passé sous les régimes militaires et autoritaires entre autres le Comité des droits de l’Homme des Nations unies et Amnesty International. A cet enseigne , des organisations de victimes en Bolivie ont assisté en mars 2015 à une audience thématique sur la Bolivie devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme. Elles communiquaient leurs requêtes la création d’une commission vérité qui puisse lever le voile sur les atteintes aux droits humains commises quand l’armée était au pouvoir. La ministre de la Justice qui présidait la délégation bolivienne à cette audience s’est publiquement engagée à collaborer de concert  avec les victimes. Rien de tel ne s’est produit. Il fallait attendre 2018  pour que  les forces armées acceptent de créer un groupe de travail formé de militaires et chargé d’aider cette institution, spécialement en lui accordant l’accès à leurs archives. Quand bien même cette démarche serait significative , pour des raisons de conjoncture politique, toute une série de documents issus de ces archives n’avaient pas été déclassifiées.

Le 22 septembre 2006, la Cour interaméricaine des droits de l’Homme a engagé la responsabilité de l’État paraguayen dans les disparitions forcées d’Agustín Goiburú Gimenez, de Carlos José Mancuello Bareiro et des frères Rodolfo et Benjamín Ramírez Villalba [36]. Cette responsabilité criminelle a été établie, entre autres, grâce aux documents trouvés dans

 l’ «Archive de la terreur ».

    Par ailleurs , la Commission interaméricaine a expressément disposé:

 Conformément aux dispositions de l’article 1.1, l’État a l’obligation d’enquêter sur toutes les violations commises sous sa compétence afin d’identifier les personnes responsables, leur imposer les peines appropriées et veiller à ce que des réparations adéquates soient fournies aux victimes[37].

En ce sens , la réparation revêt cinq facettes [38] : la restitution  , l’ indemnisation ,la réadaptation , la satisfaction et les garanties de non-répétition. Cette réparation est assurée même en cas de méconnaissance de l’auteur de la violation et doit prévoir des instruments ambitionnant la prévention de nouvelles atteintes des droits humains.  Il n’en demeure pas moins vrai que le seul établissement d’une commission vérité et son fonctionnement convenable marque , en substance , une forme de réparation.

En reconnaissant explicitement et officiellement que des transgressions des droits humains ont été perpétrées systématiquement et en initiant  des mesures dans l’objectif d’enquêter sur ces faits et de révéler la vérité, l’État procure aux victimes et à leurs familles une première forme de satisfaction. De plus, les commissions vérité recommandent généralement dans le rapport final une gamme de mesures de réparation[39]. Au Paraguay , on a fait voter  des lois de réparation . A juste raison , le président du Paraguay, Fernando Lugo, a déclaré dans un message destiné aux victimes et à leurs proches.

 Toutes les attentions de l’État ne seront jamais suffisantes pour rendre la dignité à ceux qui ont été persécutés et assassinés par un régime néfaste » ou pour « réparer des blessures physiques et intellectuelles des défenseurs de la liberté

En conséquence, plus de 20 ans après la chute de la dictature d’Alfredo Stroessner (1954-1989) , le gouvernement du Paraguay verse  5 millions de dollars en 2011  en indemnisation à 244 victimes.  De même, plus de 10 000 personnes ont entrepris des démarches pour réclamer des réparations à l’État après avoir été victimes d’emprisonnement, de torture ou d’exil.

Le Paraguay envisage d’attribuer 40 millions de dollars pour indemniser les victimes au cours des cinq prochaines années. Pour s’acquitter de cette tâche, l’État  a alloué en 2011 , 9,2 millions de dollars.

En Bolivie, depuis la promulgation d’une loi sur l’indemnisation des victimes de violences politiques, en mars 2004, le ministère de la Justice a reçu environ 6 200 demandes. Pourtant, d’après des données officielles, seules 1714 personnes ont été reconnues en tant que  bénéficiaires dont seulement 800 auraient reçu une indemnisation financière. Le rejet était le sort réservé aux autres demandes. Les autorités ont exigé aux victimes des conditions drastiques et difficilement satisfaites en vue de l’obtention des réparations à savoir la présentation des certificats médicolégaux confirmant qu’elles ont subi les actes de torture allégués, des certificats de décès ainsi que d’autres documents de l’époque inaccessibles .

Ces conditions restreignent l’accès  de nombreuses victimes  à la moindre mesure de réparation et maximisent une nouvelle victimisation de nombre d’entre elles . Du reste,  l’État   a adopté une loi et un décret visant à diminuer les montants des indemnisations prévues par la loi de 2004. A cet égard , María José Eva Parada soutient   :

Tout d’abord, de nombreuses victimes rencontrent des difficultés pour accéder aux mesures de dédommagement, puis, lorsqu’elles y ont accès, elles se voient refuser les sommes prévues par la loi de 2004. En outre, le montant des indemnités et leur méthode de calcul manquent de transparence[40]. 

On a procédé le 11 mars 2004 à la promulgation de la loi n° 2640 pour consacrer l’indemnisation exceptionnelle des victimes des violences politiques des périodes de gouvernement anticonstitutionnel. De surcroît ,  la législation entame également une série de mesures de compensation telles que l’assistance médicale gratuite, la réadaptation psychologique et des privilèges financiers pour les victimes de torture, de disparition forcée et d’autres transgressions des droits humains ainsi que pour leurs proches. En vertu de cette loi, l’État s’engageait à payer 20 % de l’indemnisation totale tout en cherchant des fonds extérieurs pour assurer la prise en charge des 80 % restants. Cependant ,  les victimes et leurs proches soutiennent que les autorités ne leur versent que 20 %, au maximum, de ce qui devrait leur revenir en vertu de la loi de 2004.

En dépit de la communication de juin 2012 émanant d’Amnistie internationale à l’intention de la ministre bolivienne de la Justice lui réclamant des explications afférentes aux critères de l’application de la loi n° 2640 et sur les mesures adoptées pour garantir le droit des victimes à une juste réparation , l’État bolivien n’a pas réagi.

En somme, on serait amené à adhérer à la position de María José Eva Parada, chercheuse d’Amnistie internationale pour la Bolivie qui a conclu :

 En dépit de quelques mesures positives, dont l’exhumation des dépouilles de personnes disparues, on ne constate aucune avancée  dans l’identification et la poursuite en justice des responsables. Les archives militaires n’ont pas été déclassifiées et des milliers de victimes et de proches attendent d’obtenir réparation [41].

  1. Criminalisation sans rareté , impunité sans contrainte

      Les organes internationaux de défense des droits humains ont toujours disposé que le travail d’une Commission vérité doit être suivi de poursuites en justice. Dans ce même ordre des idées , la Commission interaméricaine des droits de l’Homme a affirmé que la création de commissions vérité, ainsi que les mesures visant à indemniser les victimes et leurs familles n’exonèrent en aucun cas l’État de son obligation de garantir le droit des victimes à obtenir

 « une enquête judiciaire devant un tribunal pénal afin de déterminer les personnes responsables des crimes commis[42]

Or, la plupart des dictateurs ont bénéficié d’une large immunité , ce qui pousse à avancer que les processus de transition démocratique ont eu un prix: l’impunité. L’impunité des auteurs de génocide, de torture, de disparitions forcées et d’autres terribles violations des droits humains demeure intrinsèquement inhérente à de multiples raisons dont notamment le manque en volonté politique dès qu’il s’agit d’enquêter et d’enclencher des poursuites contre les auteurs présumés de ces crimes et les carences du système de la justice pénale. De ce point de vue, l’anéantissement du système judiciaire ou l’approche pseudo-démocratique d’amnistie conduit à « tourner le dos au passé ».

Avec l’expansion démocratique investie de l’universalisation,  la plupart des pays d’Amérique latine réintègrent la démocratie dans les années 1980. Cet essor  démocratique a poussé  les anciens militaires à se protéger contre toute éventuelle poursuite judiciaire en faisant voter des lois d’amnistie pour anticiper sur l’interruption d’une  procédure de poursuite pénale.  En ce sens , des lois d’amnistie ont été votées en 1982 en Bolivie et en 1984 et en 1990 au Paraguay. L’action des cours suprêmes corrélée syncrétiquement à celle des commissions de vérité a favorisé au-delà de la réouverture de ce débat , l’abolition de ces lois d’amnistie et la condamnation d’anciens militaires impliqués dans les crimes d’État.

Un élément interpelle à plus de lucidité: Si les fonctions respectives des commissions vérité et des tribunaux s’imbibent dans un syncrétisme de bon aloi  , une nette distinction substantielle  les sépare en matière de  leurs fonctions  . Elles ne sont pas conçues pour se substituer à la justice, tant civile ou administrative que pénale[43]. En particulier, les commissions vérité ne peuvent se substituer à un processus judiciaire visant à établir la responsabilité pénale individuelle. A en croire le rapport établi par la Commission vérité  et justice au Paraguay Anive hagua oiko (en guaraní : « Pour que cela ne se reproduise pas ») de 2008, le bilan des victimes de la dictature de Stroessner (1954-1989) jusqu’à la transition démocratique de 2003,s’élève à  18 772 personnes  torturées de personnes[44].

Après son renversement  par  un coup d’État en 1989, des procès sont intentés conjugués à des poursuites pénales à l’encontre  des tortionnaires grâce aux efforts des survivants, des familles des victimes, de quelques avocats et de deux ou trois juges isolés[45].

De hauts commanditaires et auteurs des atteintes  aux droits de l’Homme ont été poursuivis en justice et furent condamnés à des peines maximales de vingt-cinq ans de prison pour leur rôle sous la dictature. Du reste, une plainte était déposée au mois d’avril 1989 contre Stroessner le président déchu. A la suite de l’acceptation de la plainte , celui-ci était jugé coupable de complicité de meurtre. Le verdict allait s’accompagner d’une demande d’extradition concernant l’ex-dictateur ayant trouvé asile au Brésil [46]qui lui garantissait avec la protection des États-Unis  une immunité absolue et éternelle grâce à l’impunité que lui conférait sa parfaite connaissance des secrets de ses protecteurs éternels à Washington et ce , malgré les demandes réitérées de la justice argentine ,  du Paraguay et celles des militants des droits de l’Homme dont notamment Martin Almada pour obtenir  l’extradition de cet homme et son jugement au Paraguay.

Condamné par contumace en 1992 pour crimes contre l’humanité et atteintes aux droits de l’Homme, Alfredo Stroessner est mort à Brasilia, dans son exil doré le 16 août 2006, à l’âge de 93 ans[47] suite à un arrêt  cardiaque. En dépit d’ une entente entre le Brésil et le Paraguay, le gouvernement paraguayen qualifiait de fugitif l’ancien président Stroessner[48].

Or, un éventuel procès d’Alfredo Stroessner aurait pu optimiser la condamnation , pour la première fois, d’un principal  artisan du plan Condor.

Aux antipodes de l’expérience paraguayenne , la Bolivie incarne un jalon indélébile en matière de la responsabilité redditionnelle  attendu que de tous les pays d’Amérique Latine et Centrale, elle est le seul État où la lutte juridique contre l’impunité a abouti .Un réel exceptionnalisme judiciaire est réalisé  à travers le « Procès de la responsabilité de Luis Garcia Meza et de ses collaborateurs » introduisant en justice des gouvernants reconnus coupables pour atteintes massives des droits de l’Homme .Maintes pressions provenant des milieux colletés autrefois à la dictature  ont tenté d’avorter l’activation de cette redevabilité sous le prétexte noble de la déstabilisation des institutions de la Bolivie.

A l’issue d’une vaste enquête avalisée par  le Parlement suite aux efforts consentis par le Comité « Impulsor del Juicio » (Comité pour une action judiciaire)  composé des représentants  de la partie civile , de nombreuses ONG et organisations syndicales boliviennes , des victimes et de leurs familles , la lutte juridique contre l’impunité en Bolivie a permis  avec la sentence rendue le 21 avril 1993 , la condamnation de 48 responsables, sur les 54 accusés; 6 bénéficiant d’un non-lieu[49]. L’on a procédé à l’arrestation et l’incarcération d’onze accusés  en tentative de fuite tandis que d’autres sont en fuite et sont toujours recherchés par la justice et condamnés par contumace  , rendu possible suite au recours aux articles 250 et 253 du Code de procédures pénales bolivien.

Les plus hauts responsables de la machine politico-militaire, auteurs du coup d’État  militaire exécuté le 17 juillet 1980 ont été  inculpés et condamnés . Les anciens membres des commandants en chef du cabinet ministériel des forces armées, de la police, ainsi que les civils ayant appartenu à des groupes paramilitaires de répression, tous sont poursuivis en justice en vertu d’un procès qui a duré dix ans , à l’issue duquel la sentence la Cour suprême a rejeté la prescription de l’action pénale, faisant valoir que la Bolivie est partie à la « Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ».

S’agissant des violations des droits de l’Homme , les motifs d’inculpation ont été  basés entre autres sur le délit de privation de liberté, de détention illégale accompagnée de mauvais traitements et de torture et atteinte à  la liberté de presse mais les pierres angulaires étaient  l’assassinat de trois importants dirigeants politiques et syndicaux suite à l’attaque contre les locaux de la Central Obrera Boliviana et le meurtre avec préméditation de huit militants du Movimiento de Izquierda Revolucionaria (MIR) .Ces assassinats  étaient  qualifiés de génocide car induisant la « destruction d’un groupe d’hommes politiques et d’intellectuels » quoique la Convention internationale contre le génocide se limite à la persécution ethnique ne s’étendant  pas aux personnes torturées pour leurs opinions politiques.

L’ancien dictateur bolivien Luis Garcia Meza (1980-1981) fut extradé  depuis le Brésil vers la Bolivie en mars 1995 et fut condamné en janvier 2017 par un tribunal bolivien à 30 ans de prison sans possibilité de jouir de grâce  pour ses crimes perpétrés contre des italo-américains.

Cette condamnation à la réclusion à perpétuité prononcée par le tribunal de Rome punit ses crimes commis contre des Italiens dans le cadre du plan Condor. Il purgeait sa condamnation dans la prison de haute sécurité de Chonchocoro en compagnie de son ministre de l’Intérieur, Luis Arce Gomez. En avril 2018, il est décédé dans un hôpital militaire à La Paz à l’âge de 88 ans.

Dans la même lignée , Hugo Banzar était contraint d’abandonner  la présidence de la Bolivie à l’âge de 75 ans , à cause d’un cancer des poumons et du foie ,en faveur de son vice-président Jorge Quiroga. Au lieu d’enclencher des poursuites judiciaires contre lui, on a organisé des cérémonies  officielles qui se sont déroulées dans une atmosphère de fête réunissant de nombreuses vedettes de la musique bolivienne. Ce cérémonial fut égayé davantage par un message de sympathie de George W. Bush, louant ses mérites dans la lutte contre la production et le trafic de cocaïne. Décédé le 5 mai 2000  , ce spécialiste de la violence institutionnalisée échappe à la redevabilité. A tout le plus  , Banzer a tardivement imploré un pardon pour ce qu’il appelle des «abus», sans pour autant ouvrir  les dossiers des disparus.

Il ne s’est pas empêché, pour autant , de menacer de répondre par l’état d’urgence à une grève générale[50] malgré son repentir lors de son discours d’adieu au cours duquel il a  justifié les crimes commis sous sa dictature (1971-1978), provoquant  , par conséquent,  l’indignation des organisations de défense des droits de l’Homme .

Par ailleurs , l’ancien chef nazi de la Gestapo à Lyon Klaus Barbie est jugé coupable le 4 juillet 1987, de dix-sept crimes contre l’humanité par la cour d’assises du Rhône et ce , au terme de neuf semaines de procès ouvert  le 11 mai 1987 devant la cour d’assises du Rhône. Il aurait fallu attendre la chute du dictateur Banzer pour que le gouvernement français obtienne de la Bolivie son extradition, en février 1983.

Conclusion

      En définitive, l’on peut déduire en toute bonne logique que  la version aussi bien bolivienne que paraguayenne de la justice transitionnelle est maculée de défectuosités et entachée d’imperfections s’interposant à l’optimisation de l’aboutissement du processus de démocratisation promis.

La justice transitionnelle n’est en rien une panacée pérenne dotée de qualités réparatrice, restauratrice et cathartique tant au niveau social que politique. Loin de se cantonner dans sa spécificité générique , elle doit s’articuler aux autres dispositifs dans un décloisonnement  pertinent et un entrecroisement efficace.

Par ailleurs, le choix porté sur la justice transitionnelle en Bolivie et au Paraguay paraît fonctionnel dans un contexte régional incertain imprégné de chaos sociaux et politiques. Il satisfait à la poursuite d’un triple objectif. Primo, anéantir certaines résistances et contestations . Secundo, laisser émerger chez le citoyen  l’espoir de démocratisation et de réparation chez les victimes  les plus déshéritées .Tertio, façonner une imagerie internationale autour de l’amarrage d’un changement réel qui serait en passe de s’opérer dans la mesure où la survie d’un régime politique est tributaire non seulement de la mobilisation exclusive de ressources à l’interne mais demeure identiquement conditionnée par l’appréciation et l’acceptation internationales dudit régime[51].

Comme tout autre régime politique animé de la volonté distincte d’inamovibilité, les régimes en Bolivie et au Paraguay  mettent en œuvre une politique affriolante sur l’échiquier international dans le dessein de bénéficier des considérations de la communauté internationale notamment des principales puissances économiques et militaires internationales.

Les  réformes se succèdent et se ressemblent .Chaque nouvelle période brandit l’étendard du passage  d’une forme non démocratique à une autre forme jugée démocratique. Les revers sont cuisants et les désenchantements populaires et des militants des droits de l’Homme sont  désillusionnés devant la récurrence des mêmes dispositifs et modalités  jusqu’à admettre que  le mot de transition désigne moins à présent le passage à la démocratie qu’un laps de temps où toutes les catastrophes deviennent possibles [52].L’ultime visée de la justice transitionnelle est de contribuer à l’ancrage en douceur d’une réconciliation solide et durable et d’un état de droit dans les pays connaissant une période de transition. En cela , elle doit satisfaire  trois conditions sine qua non à savoir ,  la mise à jour de la vérité , la consécration de la reddition des comptes et la réparation des victimes .A défaut , tout discours sur  la « transition démocratique » ne serait , au demeurant , que  la formule idéale pour suggérer la permanence des mécanismes de domination de « l’élite au pouvoir » voire son contrôle du processus de la transition.

La justice transitionnelle a été instrumentalisée en servant  un agenda d’action élastique  manipulable en fonction des avatars de la conjoncture politique dissimulant  une motivation intrinsèquement amarrée au désamorçage des résistances et à la préservation de la pérennité du pouvoir en place . Ne pouvant s’attaquer aux causes structurelles des périodes de troubles , la justice transitionnelle  , avec son mutisme  corrélé à son inefficacité  attise de façon irrémissible les déboires des victimes en reconduisant un travestissement  tantôt intégral tantôt partiel de la vérité conjugué à l’enclenchement des demi-mesures en matière d’activation de la justice  s’interposant à la vocation cathartique et thérapeutique  et générant partant , avec ces déficits , de nouvelles zones de vulnérabilités sociales.

Ce serait pêcher , que de percevoir ces déficits dans une logique réductionniste colletée aux insuffisances jugées aisément réparables par des réformettes cosmétiques en occultant la facture problématique  de l’essence même du  mécanisme de crainte d’encourir le risque de la délégitimation absolue de cette justice transitionnelle agrémentée de toutes les vertus des évolutions projectives. Or, une telle approche réfractaire à la critique de la légitimité des mécanismes mis en ouvre dans leur ancrage démo-libéral témoigne de la précarité de la transition démocratique convoitée qui demeure abondamment impactée voire altérée par les processus de redéfinitions et de renégociations et dépasse , quant à l’analyse de son élaboration, les moments de son émergence. A ce juste égard , toute transition démocratique serait hypothéquée par les aspirations des élites d’État en quête de légitimité politique qui instrumentalisent la force mobilisatrice de légitimités amplement , intensément et inéluctablement amarrée par le leurre de concepts porteurs de futur telles la justice , la redevabilité et la réparation .

Tout bien réfléchi , il semble que les régimes paraguayen et bolivien aient consenti à un changement de l’image de fond et non du fond lui-même. En un peu plus clair , la rupture est opérée au niveau du style et au niveau de la méthode et non au niveau du fond.

الهوامش:

[1]    Huntington Samuel Phillips, (18avril1927, New York24décembre2008, Martha’s Vineyard, Massachusetts), est un professeur américain de science politique .Son œuvre est dominée par ses ouvrages intitulés, Le Choc des civilisations  et The third wave : democratization in the late twentieth century, publiés en 1991 .

     Cf, Samuel P. Huntington, Le choc des civilisations, Paris, Editons Odile Jacob, Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean-Luc Fidel, Geneviève Joublain, Patrice Jorland et Jean-Jacques Pedussaud, 2007, coll. « Bibliothèque », 2007, 402 p.

     Selon lui, la démocratisation, c’est-à-dire le processus au cours duquel des pays deviennent démocratiques, progresse dans le monde par vagues successives qui sont disséminées de périodes de flux et de reflux autoritaires. C’est bien la période précédant les révolutions libérales marquant l’Europe en 1830 et en 1848  qui incarne la première vague .Elle a touché concomitamment  les pays européens,  d’Amérique (États-Unis, Canada, Uruguay, etc.) et d’Océanie (Australie, Nouvelle-Zélande).

      La libération des pays d’Europe occidentale par les alliés durant la deuxième partie de la seconde guerre mondiale corrélée à celle des pays d’Amérique latine et ceux décolonisés concrétisent la deuxième vague.

[2]     La révolution des œillets du Portugal au milieu des années 1970 et  l’implosion du franquisme en Espagne sont les prémisses de la troisième vague qui s’étalera  jusqu’aux années 1980 avec l’émancipation de nombreux pays latino-américains qui revinrent à des gouvernements civils et profile son aura avec la dissolution de l’URSS optimisant  ainsi  l’essor démocratique qui a gagné à la fin des années 1980 et au début des années 1990  de nombreux pays d’Europe centrale et orientale. Ces profondes mutations ont incité vers la fin des années 70 un groupe d’universitaires européens et américains du Nord et du Sud à édifier ainsi un nouvel objet d’étude.

      En effet, Guillermo O’Donnell, Philippe Schmitter et Laurence Whitehead entameront un programme comparatiste d’envergure autour de l’Europe du Sud/Amérique latine dont le couronnement serait  la parution  en 1986 du référentiel  en matière des « transitions de l’autoritarisme à la démocratie » : Transition from Autoritarian Rule ainsi que l’émergence du concept « Transition à la démocratie».

      Il convient de souligner par ailleurs que Samuel Huntington  a écrit son ouvrage « Democracy’s Third Wave». Journal of Democracy, en 1991 sans pour autant  rendre compte des événements qui ont jalonné la communauté mondiale ultérieurement. A cet effet, les analystes et les observateurs ont décelé au milieu des années 2000 la fin de la troisième vague. D’autres, entre autres Antoine Robitaille dans son article «Démocratisation: la quatrième vague à l’orée des pays arabes du 19 février 2011 , Actualités internationales »  se complaisent de réitérer qu’avec le bouleversement structurel durant ces trois dernières années (2011-2014) opéré au nom de ce qui est convenu d’appeler « le printemps arabe », la démocratie fait miroiter ses promesses à la région arabe et concluent que la quatrième vague était à l’orée des pays arabes. Pour mieux cerner cette question,  un séminaire international  s’est tenu le 2-3 mai 2014 à Tunis (Tunisie) Sous le thème : « La nouvelle vague de démocratisation en Afrique du nord : Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie, Lybie, Egypte »  Disponible sur :http://www.codesria.org/

[3]   Teitel Ruti., « Editorial note. Transitional justice globalized », The International journal of transitional justice, 2 (1), 2008, p.1s.

[4] Cité par Essomba, S. « Quelle complémentarité entre la justice transitionnelle et la justice pénale internationale ? », Revue internationale de droit pénal, vol. vol. 84, no. 1, 2013, pp. 181-204.

      Repris de  Neil J. Kritz, Transitional justice : How emerging democracies reckon with former regimes, vol.3, United Institute of peace press, Washington D.C, 1995.Neil J. Kritz, Transitional justice : How emerging democracies reckon with former regimes, vol.3, United Institute of peace press, Washington D.C, 1995.

[5]  «Rétablissement de l’Etat de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit» (S/2004/616), par. 8.

      Le Secrétaire général des Nations Unies surenchérit en ces termes: « Peuvent figurer au nombre de ces processus des mécanismes tant judiciaires que non judiciaires, avec (le cas échéant) une intervention plus ou moins importante de la communauté internationale, et des poursuites engagées contre des individus, des indemnisations, des enquêtes visant à établir la vérité, une réforme des institutions, des contrôles et des révocations, ou une combinaison de ces mesures .» (SG-NU, 2004, 7).

[6]    P.-Y. Condé, « Présentation du dossier », in A l’épreuve de la violence, figures de la justice transitionnelle », Droit et société, n°73, 2009, p.549s, spéc, p.553.

[7]  Nour Benghellab, « Des mythes aux réalités de la justice transitionnelle », Champ pénal/Penal field [En  ligne], Vol. XIII | 2016, mis en ligne le 12 février 2016, consulté le 10 février 2019. URL : http://journals.openedition.org/champpenal/9235 ; DOI : 10.4000/champpenal.9235

[8]   Le cadre sémantique et idéel afférent à la justice transitionnelle tel qu’établi par les organisations internationales demeure extensif et large . Il s’inscrit dans une dimension holistique regroupant une boîte d’outils en perpétuelle mouvance corrélant tous les ordres de la justice qu’elle soit pénale , administrative, nationale ou internationale. Il comprend  un ensemble global de dispositifs  dont notamment l’amnistie, les commissions de « vérité » , la réparation de la dignité , les « politiques de la mémoire » et les réformes institutionnelles et juridiques.

[9]   Sa Majesté le Roi Med VI interviewé au Figaro le 4 Septembre 2001 a annoncé : « Ensemble, nous voulons affirmer l’espace démocratique le plus complet. Nous voulons aussi que cette démocratie soit celle du mieux être .La démocratie d’un pays qui fait le choix d’un rééquilibrage social fondé sur la croissance mais aussi sur le réalisme et l’équité .Cette vision, celle de la raison ,est bien comprise pour les Marocains .Eux savent où va le Maroc » Interview réalisée par le directeur adjoint de la rédaction, Charles Lambroschini sur :   http://www.maroc.ma/NR/exeres/3722777C-FF98-4404-868E-F896D58988AC

[10] «Les États-Unis auraient pu éviter le meurtre d’Orlando Latelier », publié par Araucaria, le 26 septembre 2006.

    Disponible sur: https://el-siglo.blogspot.com/2006/09/

[11] D’après un document confidentiel , le secrétaire d’Etat Henry Kissinger s’adresse à un ministre argentin qui

    l’informait de l’opération: « S’il y a des choses qui doivent être faites, faites-les rapidement. Mais vous devez   

    reprendre rapidement les procédures normales ».

    Kenza Filali , « Opération Condor, la fin du procès des dictatures sud américaines» , avec Mediapart et agences, le  29 mai 2016. Disponible sur :https://ledesk.ma/2016/05/29/operation-condor-la-fin-du-proces-des-dictatures-sud  americaines/

   De même, l’on repère dans un rapport secret de la CIA, daté du 22 août 1978 les propos suivants: « L’opération Condor est un effort de coopération dans le domaine des renseignements et de la sécurité entre de nombreux pays du cône sud pour combattre le terrorisme et la subversion

[12] Cité dans , «Terrorisem d’Etat », disponible sur :

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Terrorisme_d%27%C3%89tat#cite_ref-2

    Repris de Hermann Rauschning, Gespräche mit Hitler, Zurich, 1940.

[13] Archives du Centre de documentation sur les droits de l’Homme, document 00143F 0015.

[14]«Plan Condor, quinze ex- militaires condamnés » , créé le 27 mai 2016. Disponible sur: https://www.tdg.ch/monde/Plan-Condor–la-fin-du-proces-des-dictatures-sudamericaines—/story/26660884

[15] « 28 novembre 1975Déclenchement de l’opération Condor », Texte rédigé par l’équipe de Perspective monde    http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve?codeEve=795

[16]  Offroy Benjamin. « Le Paraguay, un nid du « Condor ». La dictature du général Stroessner, la répression et le système Condor », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, vol. 105, no. 1, 2010, pp. 33-44.

[17]  Cité par Offroy Benjamin. op, cit.,Repris de Alfredo Boccia Paz, Miguel López, Antonio Pecci et Gloria Giménez Guanes, En los sótanos de los generales, Asunción, Expolibro-Servilibro, 2002, p. 61.

[18]   Cité par Offroy, Benjamin , op, cit ,.

      Repris de Voir Franck Gaudichaud, Operación Condor : notas sobre terrorismo de Estado, Madrid, SEPHA,   2005, p. 18-19.

[19]  En fait foi l’avis suivant : « En raison de l’avis de recherche n° 020/77 de l’État -major général des forces armées (ESMAGENFA), du 11 juillet 1977, nous avons procédé à la détention des citoyens uruguayens Raul Agosto Martinez et de son épouse Alba Nelis de Agosto, catalogués comme de supposés activistes dangereux du marxisme-léninisme, dirigeants de l’Association des professeurs d’éducation physique de leur pays, dissoute […] »

     Archives du Centre de documentation sur les droits de l’Homme, document 00172F 0441, 13 juillet 1977.

[20]  Offroy Benjamin. op,cit,.

[21]   Ataulfo Riera  , « Bolivie , les damnés de la terre sont debout », publié le novembre 2000, publié le novembre 2000 .

      Disponible sur : http://risal.collectifs.net/spip.php?article78

[22]  Olivier Bras  , « Stroessner est mort en toute impunité» , courrier international , le 18 août 2006 .

     Disponible sur : https://www.courrierinternational.com/chronique/2006/08/17/stroessner-est-mort-en-toute-impunite

[23]   Catherine Gouëset, «Amnisties et justice en Amérique Latine » , lexpress.fr , publié le 22/10/209

     Disponible sur : https://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique/amnisties-et-justice-en-amerique-

     latine_783996.html

[24]  Olivier Bras  ,Op, cit,.

[25]  Solis Azuaga Gabriela. « Le Paraguay : la terreur racontée par elle-même. » In: La Gazette des archives, n°206, 2007-2. Archives, Justice et Droits de l’Homme. Actes du colloque international organisé par l’Association française d’histoire de la Justice, l’Association des Archivistes français et le Conseil international des Archives. pp. 31-44; doi : 10.3406/gazar.2007.4396

      Disponible sur : http://www.persee.fr/doc/gazar_0016-5522_2007_num_206_2_4396

[26]   Cité par Solis Azuaga Gabriela , op, cit,. Repris de Boccia Paz Alfredo, Gonzalez Mirian Angélica, Palau Aguilar Rosa, Es mi informe : los archivos secretos de la Policia de Strossner (C’est mon rapport : les archives secrètes de la Police de Stroessner), CDE, 1994, p. 11-12.

[27]   Martín Sivak, « Bolivie. Retour sur Hugo Banzer, dictateur et pseudo-démocrate», Página , le 01 octobre 2003  ,Disponible sur : https://www.courrierinternational.com/article/2001/08/30/retour-sur-hugo-banzer-dictateur-et-pseudo-democrate

[28]  «  18 avril 1995Bolivie. Instauration de l’état d’urgence », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 12 février 2019. URL : http://www.universalis.fr/evenement/18-avril-1995-instauration-de-l-etat-d-urgence/

[29]   https://www.amnesty.be/infos/rapports-annuels/rapport-annuel-2017/ameriques/article/bolivie

[30]  Commission interaméricaine des droits de l’homme, Rapport No.136/99, Affaire 10.488, Ignacio Ellacuría et al. (Salvador), 22 décembre 1999, paragraphes 229-230. Traduction non officielle par Amnesty International.

      Ibid., paragraphe 224. Traduction non officielle par Amnesty International.

[31]  Dans cet ordre des idées , Kofi Annan soutient :«On nous dit que, parfois, la justice doit céder le pas devant les intérêts de la paix. Il est vrai que la justice ne peut fonctionner que lorsque la paix et l’ordre social sont assurés. Néanmoins, nous savons désormais que l’inverse est également vrai : sans justice, il ne peut y avoir de paix durable.»

« Kofi Annan exhorte les juges de la Cour pénale internationale à rendre des jugements qui suscitent le respect de tous pour la justice internationale et la force du droit », communiqué de presse SG/SM/8628, L/3027, 11 mars 2003.

[32]   Martin Almada avait repéré en 1992 des  tonnes de documents sans fin dissimulés dans un bâtiment de police à Asunción, la capitale paraguayenne. Ces documents révélaient l’histoire cachée des milliers de prisonniers politiques sud-américains. Ce sont ces documents qui donneraient lieu à ce qu’on appellerait ultérieurement les archives de la terreur .Ces archives attestent sans contredit du rôle du premier plan que jouait le Paraguay dans la conception et l’exécution du plan Condor.

[33]  « Bolivie. Des documents militaires doivent être rendus publics afin que justice soit faite dans  des cas anciens de disparition forcée»  , ajouté le 23 février 2010 , DÉCLARATION PUBLIQUE , ÉFAI – 23 février 2010.

      Disponible sur : https://www.amnesty.be/infos/actualites/article/bolivie-des-documents-militaires

[34]  Ibid

[35] Ibid

[36] Solis Azuaga Gabriela. op,cit., p 32

[37]  Commission interaméricaine des droits de l’homme, Rapport No. 36/96, Affaire 10.843 (Chili), 15 octobre 1996, paragraphes 75 et 77. Traduction non officielle par Amnesty International.

[38]   Principes fondamentaux concernant le droit à un recours et à réparation, principes 15 et 18.

[39]   Nour Benghellab, op,cit.,

[40] « Les autorités doivent accorder des réparations complètes aux victimes des atteintes aux droits humains commises sous les régimes militaires et autoritaires », Communiqué international , Bolivie Mis à jour le lundi, 22 octobre 2018

[41]  Ibid

[42] Commission interaméricaine des droits de l’homme, Rapport No. 28/92, Affaires 10.147, 10.181, 10.240,

    10.262, 10.309 et 10.311 (Argentine), 2 octobre 1992, paragraphes 42-52, au paragraphe 50. Traduction non

    officielle par Amnesty Internationa

[43]Voir Ensemble de principes actualisé contre l’impunité, Principe 8.

[44]Cité par  “Géographie de la torture , Un monde tortionnaire ”  . Rapport  ACAT 2014 , Fiche publiée en 2014 ,

   p 90.Disponible sur : https://www.acatfrance.fr/un-monde-tortionnaire/Paraguay-325

   Repris de “Recorrido temático. Violaciones de los Derechos humanos”, Meves.org (Museo virtual, Memoria y    Verdad sobre el Stronismo), http://www.meves.org.py/?node=page&meves=guided,600,0#.

[45]Solis Azuaga Gabriela, op,cit.,

[46]Offroy , Benjamen. , op,cit.,p. 34

[47]Olivier Bras  , op,cit.,

[48]Jean Schemo, Diana. « Gen. Alfredo Stroessner, Ruled Paraguay Through Fear for 35 Years, Dies in Exile at 93 », The New York Times, 17 août 2006, p. B 7.

[49] Claire Moucharafieh   , « Bolivie : sentence historique prononcée contre l’impunité , dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale» , octobre 1994

      Disponible sur : http://base.d-p-h.info/fr/fiches/premierdph/fiche-premierdph-1710.html

[50]  José Garçon , « Chili : Les années Pinochet .En Amérique du sud, l’impunité pour prix de la démocratie »14 , novembre 1998 .

      Disponible sur: https://www.liberation.fr/planete/1998/11/14/chili-les-annees-pinochet-en-amerique-du-sud-l-impunite-pour-prix-de-la-democratie_250967

[51] Kouléga Julien Natielse. Le Burkina Faso de 1991 à nos jours : entre stabilité politique et illusionnisme démocratique. Science politique. Université Montesquieu – Bordeaux IV, Thèse pour le Doctorat en Science politique, Sous la direction de M. René Otayek présentée et soutenue publiquement le 1er juillet 2013 ,437p. P360.

[52]   Guy Hermet , Le passage à la démocratie , Les Presses de Sciences Po (1 janvier 1996), Collection :

      Bibliothèque du citoyen, p 9 .127 pages.

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